Chroniques

par bertrand bolognesi

Georg Friedrich Händel | Giulio Cesare in Egitto (concert)
Carlo Vistoli, Cecilia Bartoli, Max Emanuel Cenčić, Kangmin Justin Kim, etc.

Les Musiciens du Prince Monaco, Gianluca Capuano
Les Grandes Voix / Théâtre des Champs-Élysées, Paris
- 25 octobre 2023

En tant que directrice artistique du Salzburger Festspiele Pfingsten, Cecilia Bartoli organisait au printemps 2012 sa première programmation autour du personnage de Cléopâtre. Le mélomane put y retrouver Shakespeare et son Antony and Cleopatra (ca.1607), entendre la très rare Cléopâtre de Massenet (1914), sans doute découvrir l’ouverture de concert Antoine et Cléopâtre Op.116 de Rubinstein (1890), la scène dramatique Cléopâtre et le serpent (2011) de Rodion Chtchédrine donnée en première mondiale, sans oublier Schumann et son ouverture Julius Cäsar Op.128 (1851) ou encore La mort de Cléopâtre (1829), la fameuse cantate romaine de Berlioz. Ce riche menu était couronné par Giulio Cesare in Egitto (1724), opéra d’Händel alors mis en scène par le tandem Patrice Caurier et Moshe Leiser, le mezzo-soprano italien incarnant la reine égyptienne.

Créé en 2016 avec le soutien de la Princesse Caroline et d’Albert II, sur une idée de Cecilia Bartoli, Les Musiciens du Prince Monaco est confié aux bons soins de l’excellent Gianluca Capuano, son chef principal, régulièrement salué dans nos colonnes [lire nos chroniques de Jonas, Semiramide, Norma à Paris, Ariodante, Pigmalione et Semele]. À la tête de cet ensemble qui s’exprime sur instruments historiquement renseignés et en résidence à l’Opéra de Monte-Carlo où la cantatrice a pris la succession de Jean-Louis Grinda à la direction artistique, le chef milanais signe une lecture vive et toutefois sans heurts, dont surprend la fluidité presque préclassique, dans un travail de timbres tout à fait baroque, quant à lui. La puissance évocatrice de son approche nourrit avec avantage la dramaturgie non-visible de l’ouvrage, donné en version de concert, en amont de la création d’une nouvelle production que Davide Livermore [lire nos chroniques de Signor Goldoni, Norma à Madrid, I vespri siciliani, Peter Grimes et Demetrio e Polibio] signera pour la scène monégasque, en janvier 2024. Avec une conscience accrue de la place de l’œuvre dans le parcours händélien comme dans l’histoire du genre, Capuano cultive une musicalité heureuse, toujours au service du théâtre et des voix.

Un sextuor vocal de bonne tenue confère à cette soirée de l’avenue Montaigne, à l’initiative des Grandes Voix, un caractère festif tout particulier. On y retrouve la basse bolivienne José Coca Loza [lire notre chronique du Goldkäfer] en Achilla plus probant dans ses deux arie que dans des récitatifs parfois imprécis. En grande artiste que l’on ne présente plus [lire nos chroniques de Farnace, Medea, Armida al campo d’Egitto, Tamerlano, Aci, Galatea e Polifemo, Stabat Mater, Euridice, L’incoronazione di Dario et Il ritorno d’Ulisse in patria], Sara Mingardo incarne une Cordelia immédiatement probante, toute douceur et rondeur. À ne point prétendre au record des décibels, l’organe domine par la musicalité et le moelleux d’emblée dolent qu’il confère au personnage, saisissant à chacune de ses interventions. Grand händélien de toujours, le contre-ténor Max Emanuel Cenčić prête à Tolomeo un chant calmement amené et fort adroitement conduit. La maîtrise de ses moyens est exemplaire. Aussi apprécie-t-on la détermination rigoureuse du rôle, loin des caricatures souvent choisies. D’abord d’un volume un rien timoré, la Cleopatra de Cecilia Bartoli s’avère précise et intelligemment construite, profitant d’un aigu qui demeure de belle facture et d’un sens dramatique certain, tant dans la superbe que dans la veine comique ou l’affliction. Outre une gentille composition de la virtuelle Lydia, on goûte une habile ornementation puis, dans Piangerò, une prière émouvante, jusqu’à l’ultime joie du duo amoureux.

Deux contre-ténors représentent ici la jeune génération, non moins talentueuse que celle de ses aînés. Un brin confidentiel au premier acte, Carlo Vistoli affirme ensuite une technique impressionnante et dote son chant d’agréments idéalement réalisées. L’exactitude de l‘intonation le dispute bientôt à une appréciable endurance, bien que l’investissement dans le rôle ne dépasse guère sa teneur exclusivement musicale et bien chantante [lire nos chroniques d’Erismena, Orfeo et Xerse]. Trop chanteur, son Giulio Cesare ? On ne saurait le lui reprocher, surtout au regard de l’échange inénarrable avec le violon inouï de Thibault Noally – un moment d’une exquise virtuosité. Enfin, la préférence va au Sesto formidable de Kangmin Justin Kim : avec quelques années de plus dans la carrière [lire nos chroniques de Giulietta e Romeo et de Das verratene Meer], cet artiste infiniment sensible affirme un impact plus évident que jamais et une présence théâtrale de chaque instant. Le chant connaît des fulgurances qui font autorité, dans la passion indignée comme dans la déploration. On applaudit ce soir son expressivité subtile et sa bouleversante énergie.

BB